mardi 5 novembre 2013

L’INSCRIPTION DE BENJAMIN (Éditions de Beaugies)



Ce livre, qui paraît enfin aux Éditions de Beaugies, est sans doute celui dans lequel je me suis le plus investi. Je viens ici compléter la présentation qui figure au dos de la couverture, fatalement restreinte, en apportant quelques précisions sur ce que j’ai voulu faire.
Descriptif
L’Inscription de Benjamin se présente comme un dialogue, au sujet d’un roman qui porte ce même titre. Il y a, certes, une « histoire » de Benjamin dont un certain nombre de situations, plus ou moins « romanesques », plus ou moins « banales », seront esquissées. Mais on ne sait rien de ce livre et de son héros en dehors des échanges des deux protagonistes qui y renvoient.
Ces deux interlocuteurs sont mis en scène dans le prologue. Ils se sont rencontrés au Quartier latin.
L’un d'eux, personnage central, est Pierre-Jean Philippe, critique éminent, fasciné par L’Inscription de Benjamin, qu’il vient de dénicher dans des circonstances qu’il juge mystérieuses. Sans être le « narrateur » du roman, il a un tel besoin d’en parler qu’il en retrace quelques épisodes, comme on commenterait une suite de diapositives, citant même parfois, de mémoire, quelques extraits. Ces évocations des moments supposés « vécus » par Benjamin sont retranscrites en italiques.
L’autre personnage, celui qui dit « je », est à la fois un contradicteur qui ne s’en laisse pas conter, et le témoin « objectif » qui nous rapporte les propos tenus au cours de ce dialogue animé. Il représente, si l’on veut, « François Brune » jouant, l’espace d’un soir, l’ami (fictif) qui écoute plus ou moins patiemment Pierre-Jean Philippe, et le pousse dans ses retranchements. La partie dialoguée de cet échange est reproduite en caractères romains, en alternance avec les évocations (en italiques) de la « quête » de Benjamin.
Au fil des pages de cette narration dialoguée, l’évocation du héros, d’abord abstraite, va s’étoffer jusqu’à faire de « Benjamin » une figure mythique, dont le regard qui vous sonde et l’empathie qui vous comprend, ne doivent laisser personne indifférent. En même temps, la question « Qui est Benjamin ?  » s’enrichit de l’autre question : « Mais qui est donc Pierre-Jean Philippe, pour plaider si fort la cause de Benjamin ? ». Et ces questions n’auront bien sûr, dans le livre, que des semi-réponses… conduisant chacun à se les poser à son tour.
En vérité, l’ensemble de l’œuvre nous renvoie à une double méditation, sur le mystère de l’Existence et sur le « réel » de la Littérature, qui se trouvent si étroitement liées dans ce mot si banal et pourtant si étrange : l’inscription.
Éclaircissements
Formellement, ce texte tente de renouer avec la tradition des dialogues classiques, et je pensais évidemment à Diderot lorsque je l’ai écrit. Certains de mes lecteurs y ont décelé aussi l’influence (la « voix ») du héros de La Chute de Camus, bien que je n’en aie pas eu conscience. Mais si j’ai pris ce parti formel, c’est d’abord parce que le sujet même du livre, l’évocation de Benjamin, personnage imaginaire, incertain de ce qu’il est, passionné de tout être, trop innocent pour sembler viable, rendait tout à fait problématique son « inscription » dans notre monde… y compris sous forme romanesque !
Puisque je ne pouvais pas le « raconter » en suivant les canons du roman réaliste, j’ai été conduit à le faire « exister »… par la parole – méditative – et, plus précisément, par le dialogue, qui a l’avantage d’être contradictoire. Cette « clef » de la structure du livre est d’ailleurs suggérée au lecteur (p. 191) : « Benjamin était trop idéal pour être. Semblable aux pures Idées de Platon, il ne pouvait être contemplé que dans le reflet de ce qu’on eût pu dire de lui ».
En cela, j’étais d’ailleurs encouragé par ma propre expérience de lecteur. À l’époque où l’on glorifiait le « nouveau roman » (dans les années 1960), j’avais remarqué que les commentaires de ces ouvrages étaient aussi passionnants que leur lecture pouvait être fastidieuse. D’où la question : ne peut-on pas faire l’économie de cette lecture ? Faire un bon livre qui serait le commentaire d’un roman qu’on ne trouve plus ? Faire le « profil d’une œuvre » d’une œuvre inexistante… qui laisserait cependant dans notre imaginaire un souvenir aussi impérissable qu’un grand roman traditionnel en bonne et due forme ?
Mais pour moi, ce parti pris formel ne devait pas être un simple exercice de style. Il fallait que la nature du sujet ou du « héros » mis en scène lui convienne, ou même l’exige. Par exemple, évoquer un personnage qui demeure « vivant » en nous, quand bien même son « inscription » se serait effacée... Et c’est précisément ce choix qui s’est finalement imposé à moi et m’a dicté la structure du livre, une fois que j’en ai eu le projet, mais après bien des tâtonnements.
Un mot encore sur le personnage de « Benjamin », qui est en effet « le » sujet du livre. S’il me tient à cœur et cristallise pour moi bien des interrogations, il n’est pas le fruit d’une génération spontanée : il s’inspire de toute une lignée de personnages lunaires, « candides », « innocents », plus ou moins désabusés ou victimes de l’existence, qui peuplent la littérature. Je ne suis pas le premier à avoir eu l’expérience de cette « naïveté originelle » qui s’ouvre au monde sans arrière-pensée, qui en éprouve des joies sublimes, mais qui se trouve aussi amèrement déçue, désillusionnée, trompée dans sa confiance native… avant de faire à nouveau acte d’espérance en la vie. Parmi les « héros » de cette lignée, je dois faire mention – suprêmement – de « L’Idiot » de Dostoïevski, tel qu’il fut incarné par Philippe Avron au Théâtre de l’Atelier, il y a une quarantaine d’années. Raison pour laquelle j’ai dédié ce livre à sa mémoire…
F. B.

P.-S. Pour la plupart des auteurs, il est difficile de parler de leur propre texte, sauf vanité patentée. Car publier un livre, c’est forcément croire en son œuvre ; et cependant, l’écrivain honnête connaît trop bien les doutes qui accompagnent l’acte d’écrire, pour oser dire publiquement du bien de son livre (notamment lorsqu’il rédige la Quatrième de couverture). Il sait à peu près ce qu’il a voulu faire (c’est-à-dire l’œuvre dont il a eu le rêve), mais le simple fait d’en parler, parce qu’elle l’oblige à faire comme s’il avait réussi son entreprise, réveille désagréablement en lui le syndrome récurrent de la prétention littéraire… Seuls les autres peuvent vraiment en parler sans gêne, les critiques qui en font la recension, les lecteurs qui témoignent de ce qu’ils ont cru lire, les professeurs qui les étudient, etc. – quand bien même leurs lectures seraient objectivement discutables. Je les appelle donc à ne pas se gêner !
Le problème qui se pose en effet pour moi, c’est que les « critiques » se taisent. Ils refusent de parler des livres qui sont sortis du circuit commercial. Tant que personne ne m’a lu, je suis bien obligé de dire ce que j’ai fait (ou cru faire), dans une présentation la plus factuelle possible. Ce qui n’est pas simple. Par exemple, j’ai failli dire, ci-dessus (et voici que le dis maintenant !) : « L’Inscription de Benjamin est à la fois dialogue sur un récit et récit d’un dialogue ». Cette formule n’est pas fausse (les interlocuteurs débattent de l’histoire de B., et ce faisant, font du livre l’histoire d’un débat, et de ses révélations) ; mais elle se constitue d’une figure de rhétorique qui a elle-même quelque chose de prétentieux. Et c’est ce qui m’a conduit : 1/ à ne pas l’employer 2/ à dire pourquoi je ne l’avais pas employée 3/ à la faire connaître quand même, par une sorte vanité au second degré, qui témoigne de ce qu’on ne peut pas à la fois être écrivain (cette posture) et prétendre à la modestie.
Je suis, hélas ! un faux modeste. Et pas peu fier de l’avouer…



3 commentaires:

Jean-François Devaux a dit…

Pour commander l'inscription de Benjamin, rendez-vous sur www.editionsdebeaugies.org

Colas Rist a dit…

J’ai lu "L’Inscription de Benjamin", et j’ai écrit un commentaire dont voici des extraits*...

Un pur face à l’humanité courante, aux êtres normaux, bienveillants, rieurs, obligeants, bien intentionnés, brillants, les pieds sur terre, et, les mêmes, égoïstes, moqueurs, grégaires, avides de domination, culpabilisants, prompts à châtier celui qui n’entre pas dans le jeu ou qui par sa générosité même les culpabilise involontairement.

Un pur, un humain qui ne connaît pas la pulsion d’agressivité mais seulement celle d’amour envers ses semblables auxquels il n’est pas semblable, est-ce ce Candide existe ? (…)

Il y a au cœur de ce livre une interrogation existentielle. On pense à Kafka, au Dostoïevski de "L’Idiot", au Camus de "L’Étranger", au Montesquieu des "Lettres persanes", à tant d’autres qui sous des formes diverses abordent cette question fondamentale : comment vivre dans ce monde, le nôtre, sans désespoir mais aussi sans se perdre ? Nous sommes tous quelque part à la fois Benjamin et l’un de ceux qui lui ouvrent leur porte, mais finissent par être déroutés, irrités, provoqués…

Cette question existentielle, fil rouge du livre, F. Brune la développe sous la forme de deux fictions parallèles. La première est une histoire : celle de Benjamin, arrivant à Paris dans le train, rencontrant deux jeunes filles, puis les familles, les amis, l’administration, la ville dans sa diversité, bref la société. Benjamin vient, c’est son mot, s’inscrire. S’inscrire parmi les autres. S’inscrire dans la réalité. Il vient exister, – être celui qu’il est, et découvrir qui il est.
La seconde consiste en un dialogue entre deux interlocuteurs : l’un qui raconte la première fiction, qu’il a lue et, étrangement, connaît quasiment par cœur, l’autre qui écoute et réagit. Le tenant lieu de l’écrivain et celui du lecteur.

La gageure que tient F. Brune est de mener les deux discours de front, en interrompant constamment la fiction première par la seconde, en une série de séquences ou chapitres. Gageure risquée : parions que maint lecteur acceptera difficilement de se faire réveiller constamment du rêve fictionnel. Certes, le lecteur a pour porte-parole l’auditeur qui, lui aussi, se plaint que les scènes ne soient pas assez développées ; mais les légitimations que donne le représentant de l’auteur ne feront peut-être pas taire la frustration du lecteur réel : « En vérité vous êtes un malade du code romanesque ! Aucune de ces scènes de mélodrame (que vous réclamez) ne vaut ces quelques arrêts contemplatifs où les héros transparaissent à nos yeux, en deux répliques, ou en une rêverie. L’action, si elle existait dans ce livre, ne serait que développement monotone, banalement narratif, inutilement conforme. L’essentiel est contemplation. J’aime l’instant qui prélude : tout le reste est remplissage. »
F. Brune réclame le droit de conduire un récit qui esquisse des situations sans les développer, qui invente des instants offerts à la contemplation du lecteur et se dispense de les enchaîner. (…)

Le va-et-vient entre l’histoire de Benjamin et le débat des deux « devisants », toutes ces données aboutissent à un récit d’une densité, d’une richesse de thèmes et d’une fertilité d’idées extrêmes. On peut dire de ce texte : c’est un roman qui est en réalité un essai. Mais aussi en sens inverse : c’est un essai développé sur un mode romanesque et dialogué. Il apparaît alors comme une incarnation très vivante des idées. L’humour, l’époustouflante vivacité du dialogue, les menus événements qui font rebondir cet entretien situé dans un café (cette donnée n’est jamais oubliée), la virtuosité des notations descriptives fugaces, semées partout, rendent à mes yeux la lecture délectable.
Colas Rist.

* Le texte complet est à l’adresse suivante :
http://www.editionsdebeaugies.org/linscription-avis.php

François Brune : a dit…

à Colas Rist, je voudrais dire combien son commentaire entre en phase à ce que j'ai voulu faire de ce "Benjamin". D'autant qu'il a rédigé ce texte sans avoir pris connaissance de ma présentation du livre! Je me sens reçu "5 sur 5", c'est un immense bonheur, dont je le remercie intensément, bonheur qui me renvoie d'ailleurs, paradoxalement, à l'humilité. Car je sais aussi que je puis déconcerter le lecteur qui s'attend à une narration plus conventionnelle, et qu'il ne tirera profit de cette lecture que s'il prend sur lui de franchir ce barrage. La logique de mon personnage, comme je l'explique, m'a poussé à procéder ainsi, je dois m'en excuser, et c'est bien là que l'on mesure à quel point l'œuvre d'un écrivain n'est rien par elle-même sans la générosité du lecteur qui lui prête vie.
Quand nous écrivons, ne nous prenons pas pour des démiurges! Sachons que nous apportons simplement au grand Livre de la Littérature humaine notre petite pierre, notre infime musique, notre petite phrase qui se veut nécessaire au milieu d'un paragraphe, et c'est déjà une grande chance. Même pas une phrase, d'ailleurs, un mot que l'on chérit, peut-être une virgule.
Je souhaite que mon livre soit une virgule dans l'immensité du grand Livre! Une virgule, c'est-à-dire une respiration...
FBH